Apiculture : "pendant longtemps, j'ai "servi" l'agriculture conventionnelle"


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Apiculteur depuis 35 ans, Vincent Bondois a longtemps fait cohabiter sa passion pour les abeilles avec son métier de conseiller agricole. Une cohabitation parfois complexe à gérer. Entretien et retour d’expérience.

 

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Devenues les porte-paroles de l’environnement, les abeilles sont aujourd’hui au centre de biens des attentions. Les apiculteurs sont nombreux à tirer la sonnette d’alarme devant les attaques à répétition et l’effondrement des populations de cet emblématique représentant de la biodiversité discrète.

L’interdiction récente des pesticides néonicotinoïdes a remis à la une des médias la difficile cohabitation de ces hyménoptères pollinisateurs et de l’agriculture moderne.

Irréconciliables ?

Agri-Culture a rencontré Vincent Bondois, apiculteur à Blainville-Crevon en Seine-Maritime, et ancien conseiller « cultures » à la Chambre d’Agriculture. Ingénieur en agriculture et propriétaire de 50 ruches, il a pendant des années « servi l’agriculture conventionnelle », tout en participant activement à la conservation de l’abeille noire.

Une cohabitation parfois complexe à gérer. Entretien et retour d’expérience.

 

Comment un ingénieur en agriculture ayant œuvré durant l’âge d’or de l’agriculture « chimique » en est-il venu à l’apiculture ?

Vincent Bondois : A la base je n’avais pas d’attaches vraiment agricoles. Si j’ai suivi des études dans cette voie et si je suis tombé dans l’apiculture, c’est un peu pour les mêmes raisons. Par curiosité scientifique. Je voulais avoir une ruche de démonstration sur un cadre. Mais on m’a dit que l’essaim allait vite mourir.

Alors j’ai acheté deux ruches… et c’est parti comme ça. J’ai des ruches depuis maintenant 35 ans, et cette passion a coexisté avec mon travail à la chambre d’Agriculture jusqu’à mon départ en retraite.

N’est-ce pas compliqué de conseiller des traitements insecticides la semaine, et de relever ses cadres de ruches le week-end ?

Vincent Bondois : C’est une cohabitation qui n’a pas toujours été facile. Je ne l’ai pas vraiment mal vécu au départ, car même si j’ai toujours été plutôt attiré par les pratiques bios, j’ai servi l’agriculture conventionnelle pendant toutes les années que j’ai passées à la Chambre d’Agriculture.

Bien sûr au fil du temps, je me suis posé de plus en plus de questions, avec notamment l’arrivée des néonicotinoïdes et ensuite les preuves qui s’accumulaient quant à la toxicité sur les abeilles.


© B.Delabre

Avec le recul, quel regard portez-vous sur ces produits aujourd’hui interdits ?

Vincent Bondois :  Paradoxalement, au début, on voyait plutôt les néonicotinoïdes comme des atouts pour l’écologie. Car on applique une très petite dose sur la semence, ce qui évite des traitements en végétation ; ce sont donc des traitements plus ciblés que les insecticides pulvérisés. Et le discours sur l’absence de rémanence du produit n’était pas aberrent puisqu’on constatait en fin de saison des réinfestations de pucerons sur des blés traités.

Quand on a entendu les apiculteurs alerter sur ces produits, notamment autour du tournesol, on a commencé à se poser de plus en plus de questions. Mais j’ai cheminé un certain temps avant de me convaincre qu’ils avaient raison. D’autant qu’en même temps que les néonicotinoïdes est arrivé le varroa.

Justement, l’industrie phytopharmaceutique défend toujours ses produits en accusant le varroa d’être la cause de la mortalité des abeilles…

Vincent Bondois : Aujourd’hui, la preuve est faite de la nocivité des néonicotinoïdes. La communauté scientifique est globalement tombée d’accord là-dessus. Mais il est toujours difficile de faire la part des choses entre les problèmes pathologiques et les problèmes d’intoxication. Des pertes d’abeilles plus ou moins inexpliquées, j’en constate tous les ans. Mais je peux difficilement incriminer telle ou telle cause.

Par exemple, l’hiver dernier, il y a eu pas mal de pertes alors même que les néonicotinoïdes étaient interdits sur les plantes à fleurs… Certains apiculteurs soupçonnent la rémanence des produits appliqués sur céréales ou betteraves qui se retrouveraient ensuite dans les plantes qui fleurissent à l’automne, comme la moutarde ou le radis par exemple. C’est possible, mais rien n’est prouvé.

Je sais qu’un certain nombre d’apiculteurs rechignent à utiliser l’amitraze pour lutter contre le varroa. Et c’est vrai que les solutions alternatives à ce produit supposent des conditions d’application précises et rigoureuses. Il peut arriver de se rater, et les conséquences peuvent être importantes. Un apiculteur voisin a perdu 44 de ses 50 ruches à cause du varroa cet hiver.

Il n’y a que l’année où le Cruiser (un traitement néonicotinoïde, ndlr) a été autorisé sur colza, il y a 4 ou 5 ans, où j’ai pu pointer un vrai rapport de cause à effet. Cette année, là j’ai eu de très mauvaises fécondations, comme un peu tout le monde d’ailleurs. Ce n’est sans doute pas pour rien, si ce traitement a été immédiatement interdit l’année suivante.

Quelles relations entretiennent les apiculteurs avec leurs voisins agriculteurs ?

Vincent Bondois :  La méfiance existe toujours entre les deux corporations, même si des tentatives de rapprochement sont tentées. Surtout que beaucoup d’apiculteurs sont des amateurs, et sont à ce titre parfois mal considérés par la profession agricole.

Les agriculteurs font sans doute plus attention que par le passé. Ils traitent dans des conditions météo, ou à des horaires, moins susceptibles d’impacter la microfaune. Mais il y en a aussi encore qui traitent au mauvais moment ou dans de mauvaises conditions.

Et les apiculteurs réagissent en général au quart de tour, dès qu’ils voient passer le pulvérisateur, sans parfois s’inquiéter de savoir s’il s’agit d’un traitement insecticide ou non.


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Vous participez activement à la protection de l’abeille noire en Normandie. Qu’est-ce qui vous a conduit dans cette voie ?

Vincent Bondois : Au départ, je me suis lancé dans cette aventure en estimant que c’était moins gourmand en temps que de la sélection par exemple. Mais ma conviction de la nécessité de conserver et protéger l’abeille noire, qui est l’abeille naturellement présente en Europe de l’Ouest, s’est renforcée avec le temps.

Car dans le commerce apicole on vend quasiment exclusivement des espèces réputées plus productives, Buckfast, Italiennes, Cocasiennes… Et les nouveaux apiculteurs ne trouvent donc plus que ces espèces-là. Il y a donc un vrai risque de voir disparaître l’abeille noire.

C’est pourtant l’abeille autochtone ; elle est donc la plus adaptée à nos climats. Certes son cycle de production est un peu plus court, mais elle a de vrais atouts, en limitant notamment ses besoins en alimentation. Et elle sait sans doute mieux s’adapter.

Certains pensent que l’hyperspécialisation du cheptel américain a par exemple accéléré l’apparition du syndrome d’effondrement des colonies. On peut aussi supposer qu’une abeille avec un cycle plus long sera plus sensible au varroa car exposée plus longtemps.

Comment construit-on la sauvegarde d’une espèce d’abeille ?

Vincent Bondois : L’enjeu n’est pas seulement de conserver des essaims, mais aussi de proposer des essaims ou de reine de bonne qualité. L’abeille noire n’a pas très bonne réputation auprès des apiculteurs. Moins productive, elle est aussi réputée plus agressive et essaimeuse. On sait que c’est possible d’améliorer ces caractères. On a donc créé un groupe d’éleveurs en Normandie pour alimenter les ruches de la région en abeilles noires.

La difficulté actuelle est de trouver des zones d’élevages de cette abeille noire en évitant des croisements avec les ruches environnantes. Ce n’est pas facile, car il faut des zones conservatoires, et donc trouver des arrangements, des compromis avec les apiculteurs implantés localement.

 

 

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16 Octobre 2018 | Benoit Delabre

Commentaires

Les propos tenus par Vincent Bonsoir ne sont pas ceux d'un vrai Bio, mais par opportunisme il s'intéresse à l'abeille noire ! C'est déjà un point positif ... Comme beaucoup d'entre ceux qui ont reçu ou subi une formation agricole dans les années 1960 - 1975, nous avons été formatés aux produits qui étaient synonymes de modernité, ceux qui ne les utilisaient pas étant considérés comme des attardés, l'avant-garde de l'epoque, pilotée par les "conseillers" agricoles, avait opté pour cette agriculture chimique au détriment de celle de nos grands-parents, qualifiés d'antiques. Certains justifieront le besoin de nourrir la population ! et de produire plus, mais la véritable raison était de faire rentrer des devises par l'exportation , dans se poser la question de la nocivité de ces poisons. Aujourd'hui, à l'aube de 2020, alors que cela fait plus de 30 ans que les produits chimiques sont qualifiés de toxiques, car non testés en interaction les uns des autres, l'élite des années 1980-2000 n'a toujours pas voulu admettre qu'elle nous a mené à une catastrophe et qu'elle est responsable d'enduire la génération agricole actuelle dans un système périmé. Les propos tenus dans cet article laissent penser que la "science" est au

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